Roger Faligot

Le peuple des enfants

Éd. du Seuil

Paris, 2004

bibliothèque insulaire
   
Irlande
parutions 2004
Le peuple des enfants / Roger Faligot. - Paris : Éd. du Seuil, 2004. - 667 p. ; 22 cm.
ISBN 2-02-052382-5
Journaliste d'enquête et auteur d'une trentaine d'ouvrages, Roger Faligot connaît intimement le conflit irlandais ; il a présidé l'Association des Journalistes bretons et des Pays Celtiques ; il a participé au jury du Prix de Littérature Insulaire d'Ouessant en 1999 et à la 7ème édition du Salon (2005).

NOTE DE L'AUTEUR : Le Peuple des enfants, premier volume d'une trilogie, est un roman mais il plonge dans l'histoire véridique des enfants à travers les âges.

Les héros, un jeune Nantais prénommé Gaston et sa cousine Lucia, une Indienne de Louisiane, voyagent dans le temps grâce à un livre magique Le peuple des enfants que leur a offert un brocanteur le soir d'Halloween (une fête celtique qui célèbre le sacrifice des enfants, raison pour laquelle ceux-ci se vengent aujourd'hui en faisant peur aux adultes)

Un personnage maléfique fait tout pour empêcher « les enfants de connaître leur Histoire »

L'Irlande est présente dans ce roman. D'abord quand les deux cousins se retrouvent au Xe siècle aux côtés du jeune roi irlandais Brian Bóru qui combat l'invasion des Vikings.

Ils se retrouvent ensuite dans l'Île d'Emeraude à Pâques 1916 quand, par coïncidence, ils se sont rendus à la Poste centrale de Dublin, pour tenter d'envoyer une carte postale au XXIe siècle.

C'est alors qu'à quelques centaines de mètres de là des enfants (tous bien réels) se préparent à participer à la rébellion contre l'Angleterre.

EXTRAIT

« Dublin, tout est calme », commence par écrire Gaston sur la carte postale. Bien sûr, on n'en voudra pas aux cousins de Nantes, de ne pas savoir ce qui se passe au même moment, à moins d'un kilomètre de là, au bord de la rivière Liffey qui traverse la ville, dans Liberty Hall, la Maison des syndicats.

Pour Tommy Keenan, c'est là, à Liberty Hall, que tout a commencé à aller de travers. Le gamin s'est aligné avec ses camarades, en rangs deux par deux comme à l'école. Cela fait des mois qu'il a rejoint la section des « boys », les jeunes garçons de l'Armée des citoyens d'Irlande — l'ICA —, dirigée par Bill Carpenter et ses deux adjoints de quinze ans, Matt Connolly et Charlie Darcy.

Avec un uniforme plié dans un sac, une bouteille d'eau et un sandwich à la main, on attend les ordres des chefs de l'ICA, le dirigeant socialiste James Connolly et une comtesse à la chevelure rousse et au nom polonais, — à cause de son mari —, Constance Markievicz. Sur le fronton du grand bâtiment a été déployée une banderole avec ces mots : « Nous ne servons ni le roi d'Angleterre ni l'empereur d'Allemagne, mais l'Irlande ». Un signe fort pour dire qu'on ne veut pas participer à la Guerre mondiale en Europe.

Un petit homme bedonnant, crâne chauve, larges moustaches et lunettes cerclées de fer, s'avance, vêtu de son uniforme de commandant général tout neuf. C'est lui, c'est le fameux James Connolly ! 
— Aujourd'hui, à midi, la République d'Irlande sera déclarée. Désormais avec le groupe des Volontaires irlandais, nous formerons l'armée républicaine irlandaise, et d'ici une heure, nous serons en action, déclare-t-il avec emphase.

Roddy Connolly, quinze ans, qui fait aussi partie du groupe, dont il sera un messager, approuve fièrement la déclaration de son père. Tout comme les deux cents autres compagnons de l'Armée des citoyens.

C'est alors qu'ayant revêtu les uniformes qu'on a achetés aux Boers sud-africains, ces ouvriers, dockers, apprentis et chômeurs transformés en citoyens-soldats, emboîtent le pas à leur chef pour remonter Middle Abbey Street et gagner l'Hôtel central des Postes.

Soudain un des officiers de l'ICA, petit homme brun du nom de Michael Mallin, un vétéran de la guerre des Boers, où il a combattu contre les Anglais de Baden-Powell, s'approche du petit Tommy Keenan :
— Eh, mon gars ! Quel âge as-tu ?
— Douze ans. Pourquoi ?
— Il n'est pas question de t'emmener sans l'accord de tes parents. Alors tu files chez toi et tu reviens avec un mot écrit de leur main !

C'est pas vrai ! Tommy est d'autant plus déçu que nombre de ses copains qui ont le même âge sont en train d'endosser leur uniforme. Seulement voilà avec sa bonne petite bouille ronde étoilée de taches de rousseur, il fait vraiment plus jeune que les autres. Tandis qu'il rumine sa déception, s'approche Pat Fox, un veuf qui tient par la main son fils, le jeune Jimmy, quinze ans, comme on accompagne un enfant le premier jour de l'école. Jimmy flotte dans l'uniforme trop grand pour lui, celui de son père, car le gamin a supplié ce dernier d'aller au combat à sa place.

En observant la scène, Tommy Keenan serre des poings rageurs. Il passe son sac de provisions à un camarade, et se met à courir comme un dératé, pour remonter vers Gardiner Street, tandis que Connolly, ses hommes et ses boys débouchent déjà dans la grande avenue : Sackville Street.
— Papa, je vais libérer l'Irlande ! tente d'expliquer Tommy avant de se faire botter le derrière et de se retrouver enfermé dans sa chambre.
— Vivent les rebelles ! crie Tommy, les yeux baignés de larmes.
— Vivent les rebelles ! crie en écho la foule des badauds dans Sackville Street. Enfin pas tous ! Cela ressemble juste à une parade comme les affectionnent les Républicains. Sauf que, cette fois, ils ont de vrais fusils ...

Les flâneurs s'éparpillent en voyant arriver ces francs-tireurs au niveau de la Colonne Nelson, érigée à la gloire du général qui a battu Napoléon à Trafalgar. Ceux-ci tirent en l'air pour dégager l'entrée de la Poste. À l'intérieur, les cousins sursautent, au moment où Lucia est en train d'apposer sa griffe sur la carte qu'on envoie à leur ami Nathan Polak. Elle a juste le temps de la mettre directement dans le sac d'un facteur qui s'enfuit tandis qu'un nouveau cri retentit :
— Tout le monde dehors ! Vive la République !

Les rebelles investissent la Poste. Panique ! Tandis que Gaston et Lucia refluent avec le public dans la rue baignée de soleil printanier, on hisse un drapeau vert, blanc, orange, symbole de l'Irlande libre, pour remplacer l'Union Jack des Anglais. Un homme au regard bleu et en uniforme vert d'officier sort de la Poste entouré de soldats. Il lit la déclaration d'indépendance.

— C'est le poète Patrick Pearse ! braille une voix dans l'assistance !

Son discours fracassant se termine par des mots qui font mouche : « Irlandais et Irlandaises, au nom de Dieu et des générations disparues dont elle reçoit son antique tradition de nationalité, l'Irlande, par nos voix, appelle ses enfants autour de son drapeau pour conquérir sa liberté. »

On les appelle : ils sont là les enfants ! Beaucoup de gamins des rues, — car l'Irlande a aussi ses mudlarks 1 —, répondent « présent » alors qu'ils n'étaient pas au courant de la préparation du soulèvement. Nombreux sont leurs petits copains parmi les Boys de l'ICA, et il n'est pas difficile d'apprendre à lancer des pavés, à confectionner des bouteilles incendiaires, à monter des barricades en vrais Gavroches de Dublin. Pieds nus, le visage badigeonné de crasse, les vêtements en lambeaux, des centaines d'entre eux sont les mômes des taudis. Ceux que Connolly a l'habitude de comparer aux bas-fonds indiens de Calcutta, en disant qu'ici, à Dublin, c'est pis ! Dès la première heure, les républicains sont débordés car une horde d'enfants et d'adultes se rue dans le magasin de luxe Dunnes & Co pour le piller. Un petit garçon sort de là, une colonne de chapeaux melons enfilés sur la tête. Des filles arrachent leurs guenilles pour endosser des robes à froufrous. Entrées mendigotes, elles ressortent cendrillons parées pour le bal du Prince charmant.

Les vitrines du confiseur Lemon's volent en éclats. Les mudlarks 1 dublinois se jettent sur des montagnes de chocolats, de toffees, de boules de gomme.

Tout ça n'est pas bon, pour notre image ! dit un Volontaire de l'ICA qui monte déjà la garde devant les colonnes doriennes de la Poste, rebaptisé « Quartier-général ».

1.Les mudlarks sont, depuis l'époque victorienne, des bandes de petits mendiants organisés pour gagner leur vie dans les rues de Londres, de Glasgow ou de Dublin.
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Guerre spéciale en Europe », Paris : Flammarion, 1980,
  • « Nous avons tué Mountbatten ! L'IRA parle » témoignages recueillis par Roger Faligot, Paris : Picollec, 1981,
  • « Bloc H ou la Ballade de Colm Brady », Lyon : Jacques-Marie Laffont, 1981,
  • « Constance Markievicz », in : Des femmes dans le monde (collectif), Paris : Messidor-Temps Actuels, 1982
  • « Les services spéciaux de sa majesté », Paris : Temps actuels, 1982
  • « La harpe et l'hermine », Rennes : Terre de brume, 1994
  • « James Connolly et le mouvement révolutionnaire irlandais », Rennes : Terre de brume, 1999
  • « La résistance irlandaise, 1916-2000 », Rennes : Terre de brume, 1999
  • « Les seigneurs de la paix », Paris : Seuil, 2006
  • « Les mystères d'Irlande », Fouesnant : Yoran embanner, 2007
le site internet de Roger Faligot

mise-à-jour : 14 février 2008

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