Le défi aussi éternel qu'émouvant des pêcheurs. ☐ Leonardo Padura — cité p. 65

Glénan, Groix, Belle-Île, Yeu, les îles — aimables un jour, hostiles le lendemain — délimitent l'espace de vie et de travail d'Alain Jégou, marin-pêcheur par amour de la liberté, goût du vent et des horizons vierges — et toujours prêt à payer le prix fort pour vivre pleinement ces singulières passions.

EXTRAIT

Un coup d'œil dans le pic arrière permet de juger rapidement de la gravité de la panne. La cassure est nette, l'appareil à gouverner totalement hors d'usage et imbricolable. Rien à faire d'autre que lancer un appel sur les ondes et attendre l'éventuelle réponse, attendre que le navire le plus proche vienne nous passer la remorque. Attendre, livré au bon ou mauvais vouloir des éléments exacerbés, qu'un de nos frères de trime, compagnon de galère, vienne nous tirer de cette mauvaise errance. La solidarité des gens de la mer, c'est pas du flan. C'est sacré et le demeurera tant qu'il y aura des marins dignes de ce nom qui sillonneront les océans. Sur VHF le message est lancé. Pas encore le Mayday, seulement pour prévenir et exposer la situation, signaler clairement la position géographique ou toran. Nombreux répondent qui fréquentent la zone. Le plus proche, à cinq milles, a mis le cap sur nous. L'île de Groix assiste, sombre et impassible, à notre dérive irrémédiable vers ses roches et falaises que le gris de la pluie et notre situation alarmante font paraître des plus sinistres et inquiétantes. Nous n'avions jamais remarqué lors de nos fréquents passages en leur proximité comme elles pouvaient prendre visage hostile et menaçant, comme de beautés passives et admirables elles pouvaient muter féroces et meurtrières. Le rafiot brinquebale et ricoche de vague en vague. Il gesticule ridicule sur la tignasse d'écume. La furie enflante des vents de suroît et la houle montante accentuent sa dérive. Il est désormais impératif d'installer la barre franche. Paumoyer les filets sur l'avant du pont afin de dégager le parc où se trouve l'accès à la mèche du gouvernail. Ce remède de fortune nous permettra de nous écarter de la côte et de maintenir le navire à la cape, bout à la lame, afin de subir moins dangereusement l'assaut de nos abordantes déferlantes. Parvenus à nous éloigner d'un bon mille de l'île, elle ne nous est plus visible que sur l'écran du radar. La tempête l'a enveloppée dans sa houppelande de grains grossiers et tapageurs. ☐ Ikaria LO 686070, pp. 114-115